Réunion par Imaz Press, lundi 4 novembre 2024 à 09:23

Etre capillairement correct : Avoir les cheveux lisses envers et contre tout, y compris sa santé et son identité

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Des produits capillaires utilisés pour le lissage brésilien ont causé des cas d’insuffisance rénale aigüe en France. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) a sonné l’alerte après l’intoxication de quatre personnes hospitalisées entre janvier et août 2024. À La Réunion, la technique séduit très largement. Raisons pratiques, choix esthétique, influence culturelle et autres normes raciales sont autant de facteurs qui peuvent expliquer le succès de cette pratique… à risques (Photo : www.imazpress.com)

"Je trouve cela très beau, je suis vraiment contente du résultat". Sloane, fonctionnaire et habitante de Saint-Denis, fait partie des nombreuses réunionnaises qui ont été conquises par le lissage brésilien.

Devenu un véritable effet de mode à l'échelle planétaire, ce traitement à base de kératine permet de rendre les cheveux lisses et brillants pendant plusieurs semaines. Mais cela n'est pas sans risques pour les cheveux et pour la santé, au regard de ce que contiennent certains produits utilisés.

Suite à des cas d'intoxication en France, l'Anses a lancé une expertise pour déterminer la toxicité rénale de l'acide glyoxylique en application capillaire. Depuis 2013, cette substance chimique présente dans des produits à base de kératine, a remplacé le formaldéhyde, classé cancérigène.

Interrogée par l'AFP, Juliette Bloch, la directrice des alertes et des vigilances sanitaires à l'Anses, explique que l'acide glyoxylique "passe dans le sang par le cuir chevelu", et peut "se transformer en cristaux d'oxalate" de calcium. Ces derniers causeraient des dommages rénaux.

Lire aussi - Lissages brésiliens : ils raidissent les cheveux et peuvent provoquer des insuffisances rénales

Marie-Pierre Lafosse-Rivière, présidente de l'Union nationale des entreprises de coiffure (Unec) à La Réunion explique qu'elle était au courant des problèmes que ces produits pouvaient provoqués bien avant que l'alerte ne soit donnée. "Quand nous avons reçu l'alerte, une newsletter d'information a été envoyée à tous les adhérents", poursuit-elle. Car si le syndicat n'a pas eu de remontée de cas à La Réunion, cela ne veut pas nécessairement dire que personne n'a été touché localement.

En effet, le lien n'était jusqu'alors pas fait entre l'application d'un produit capillaire et de soudains problèmes d'insuffisance rénale. Et même si l'alerte a été largement relayée, la force des normes de beauté semble plus forte que les avertissements. Stéphanie, coiffeuse à Saint-Denis, confie que la demande pour des lissages brésiliens n'a pas baissé, "bien au contraire". Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet engouement à La Réunion. Le plus évident renvoie à la notion de goût bien sûr, mais aussi de normes et de mode, sans doute.

- Une pratique en opposition aux mouvements pour la beauté naturelle -

Françoise Vergès, historienne et politologue féministe, antiraciste et décoloniale, considère que les cheveux lisses sont depuis longtemps un critère de beauté. "Je me souviens étant enfant, les femmes à La Réunion se faisaient passer le fer et utilisaient des produits effrayants, jusqu'à se brûler le cuir chevelu, pour avoir les cheveux lisses".

La militante se rappelle pourtant que cette époque coïncide avec les premiers combats contre les normes de la beauté blanche. En effet, au début des années 60, un mouvement de protestation nait à New-York, à l'initiative de Kwame Brathwaite.

Ce photographe new-yorkais décide de mettre en scène des femmes noires ayant choisi de s'éloigner des normes occidentales de beauté. Les mannequins qui participent à ses défilés dans le quartier de Harlem, portent fièrement leurs cheveux afro.

Leur corps sont plus charpentés, leur peau plus foncée que les femmes représentées dans les magazines de mode. En quelques mois, Brathwaite et ses amis font naître le mouvement Black is beautiful, qui va changer la façon dont les noirs sont représentés aux Etats-Unis.

Dans les années 2000, c'est encore Outre-Atlantique que le Natural hair movement (Nappy) voit le jour. Ce mouvement est porté par des femmes qui souhaitent conserver et promouvoir la beauté naturelle de leurs cheveux crépus. Ils traversent les frontières et convainc notamment à La Réunion. Mais sans pour autant faire de l'ombre au lissage longue durée, jugé par Sloane, au sortir d'une boutique pour produits capillaires, comme "vraiment pratique".

- "Qu'est-ce que cela peut vouloir dire, se coiffer ?" -

En effet, beaucoup de réunionnaises ont des journées extrêmement chargées entre vie professionnelle et vie familiale. Pour "se coiffer", il faut avoir du temps. Même si là encore, il s'agit d'une notion abstraite, qui peut renvoyer à des codes de beauté fondés sur des normes raciales.

"Qu'est-ce que cela peut vouloir dire se coiffer, se demande Françoise Vergès. Dans ma jeunesse, il fallait aller régulièrement chez le coiffeur pour la mise en pli, pour faire son brushing et respecter toute une série de codes permettant de ressembler au modèle dominant."

Habituée d'un salon de coiffure sur Saint-Pierre, Estelle multiplie les lissages brésiliens depuis plusieurs années. Elle confie être consciente que cela n'est pas "très bon pour les cheveux". Mais en tant que passionnée de mode, elle aime ressembler à des modèles à l'aura internationale.

En effet, en recherchant lissage brésilien sur les réseaux sociaux, il est permis de se rendre compte que de nombreux mannequins et influenceuses en font la promotion. Plus largement, les vidéos montrant comment avoir les cheveux lisses pullulent.

Lors d'événements à portée internationale, comme le super bowl, la coupe du monde de football ou les jeux olympiques, des icones comme Beyonce, Shakira, Rihanna ou encore Aya Nakamura sont apparues les cheveux lisses.

On peut encore citer des influenceuses comme Kim Kardashian ou la française Nabila, qui s'affichent avec des cheveux parfaitement lissés, à l'inverse de Fatou N'Diaye, considérée comme la première blogueuse beauté afro en France. Elle est à l'origine de Black beauty bag, un espace dédié à la beauté des femmes noires et métissées.

- Un manque d'études sur la construction des normes de beauté -

L'influence n'a par ailleurs pas de sexe. L'artiste Justin Bieber a été un modèle en matière de style capillaire pour une génération de jeunes garçons. Stéphanie, coiffeuse depuis plus de 20 ans, considère que ce qui se passe dans les salons dit beaucoup d'une société et de ses évolutions.

Elle aime comprendre les raisons pour lesquelles ses clientes veulent absolument avoir les cheveux lisses au quotidien. Elle remarque ainsi que beaucoup de femmes réunionnaises utilisent des termes qui renvoient aux notions de dominations. "J'entends souvent des clientes dire qu'elles n'arrivent pas à apprivoiser leurs cheveux bouclés ou crépus, à les rendre dociles".

Pour Françoise Vergès, cela rappelle ce qui a été "refoulé dans la force du discours autour du métissage qui induit que tout va bien". Selon la militante antiraciste, beaucoup de choses sont "rentrées" dans le mot métissage. Elle regrette d'ailleurs le manque d'études à La Réunion sur les processus qui ont forgé ce qui est beau, de ce qui ne l'est pas, ou moins. Elle se souvient ainsi que les premières gagnantes de Miss Réunion étaient toutes "des jeunes femmes blondes aux cheveux lisses".

Dans les écoles, des professeurs de l'île remontent le fait que des petites filles créoles se dessinent blanches, les cheveux lisses. Il faut dire que, même si les choses évoluent, pendant longtemps les poupées pour enfants étaient d'un blanc laiteux et portaient des cheveux longs, soigneusement lissés.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, des scandales sanitaires éclatent suite à l'utilisations de crèmes permettant de blanchir la peau. En Asie, une mode consistant à se faire débrider les yeux a fait fureur. Autant d'éléments qui tendent à prouver la force d'un modèle dominant dans l'imagerie commune.

- L'Unec travaille sur un projet de coopérative -

Qu'il soit réalisé à domicile ou en salon, pour des raisons pratiques, par choix, par goût, par volonté d'imiter ou de ressembler, le lissage est donc un acte engageant… et cher.

Le prix avec un professionnel peut varier de 250 à 600 euros. Selon Marie-Pierre Lafosse-Rivière, la présidente de l'Unec, le tarif n'est pas le même dans "une petite ville comme Sainte-Anne ou en plein centre-ville de Saint-Gilles." Si ni le prix, ni les risques ne semblent dissuadant, les adhérents du syndicat constatent une demande progressive pour des produits naturels et non chimiques.

À ce titre, les professionnels de l'île utilisent de plus en plus "les lissages thermiques avec des acides aminés", confie Marie-Pierre Lafosse-Rivière.

Par ailleurs, le lissage indien à base d'huiles naturelles est aussi très en vogue. Afin de limiter encore les risques liés aux produits potentiellement dangereux, l'Unec travaille sur la création d'une coopérative qui permettrait aux adhérents d'obtenir des "tarifs intéressants sur les grossistes, de regrouper les marques et d'avoir des produits de qualité attestés", conclut la présidente du syndicat. Avec cette alerte sanitaire, le projet pourrait bien être accéléré.

pb/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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