Biodiversité : Espèces envahissantes, ennemies numéro un de la flore endémique
Alors que de nombreuses espèces endémiques sont en danger à La Réunion, le Conservatoire botanique national de Mascarin alerte sur l’ennemi numéro un de la flore : les espèces invasives. Introduites par l’homme pour leur grande majorité, elles représentent une menace importante pour plus de 160 espèces de plantes. Et les efforts pour endiguer les dégâts causés par les espèces envahissantes peinent à endiguer le problème (Photo sly/www.imazpress.com)
Aujourd'hui, plus de 130 espèces de plantes sont considérées comme envahissantes en milieu naturel. "Toutes les plantes ne sont pas également dangereuses, c'est pour cela que j'ai proposé une échelle d'impact d’invasibilitéafin de les hiérarchiser" explique Christophe Lavergne, responsable du du service Conservation de la Flore et des Habitats au Conservatoire botanique national de Mascarin.
"Une des bêtes noires de l'île, c'est la Liane papillon (Hiptage benghalensis) : on ne sait pas trop comment elle est arrivée à La Réunion, on sait uniquement qu'elle vient d'Asie. Cette liane grimpe sur la végétation, et étouffe les plantes aux alentours" détaille le botaniste.
"Cette liane s'enroule comme un serpent autour des arbres et les tirent vers le sol et les "étrangle". Elle peut étouffer complètement des forêts, c'est ce qu'il s'est passé à la rivière des Galets" déplore-t-il. "Toutes les berges et remparts qui étaient autrefois couvertes de plantes indigènes regorgent désormais uniquement de ces lianes."
Cette liane est implantée depuis la fin du 19ème siècle à La Réunion, d’après le médecin-botaniste réunionnais Eugène Jacob de Cordemoy. "Il est possible qu'elle ait été importée de Maurice. On pense savoir qu'elle était plantée à côté des temples malbars, et on suppose que les graines ont pu être portées avec le vent lors de cyclones"
Il faut savoir que cette liane ne pose pas que problème à La Réunion. A Maurice, mais aussi en Australie, à Hawaii ou en Floride, elle remplace toutes les forêts. "C'est dans l'ouest de l'île que le problème est le plus gros, mais la liane papillon progresse ti pa ti pa vers l'est et le nord" regrette Christophe Lavergne.
Une progression telle qu'il est aujourd'hui impossible de la stopper uniquement avec la main de l'homme.
"La CIRAD travaille aujourd'hui sur l'aspect lutte biologique, car l'espèce est bien trop étendue aujourd'hui. Ca fait déjà plus de 30 ans que cette plante est connue comme étant un problème. Elle a fait disparaitre des plantes assez rares du côté de la Grande Chaloupe" souligne Christophe Lavergne.
- Des difficultés à faire interdire les introductions d'espèces -
Elle n'est pas l'unique liane à poser problème : la Passiflore-banane (Passiflora tripartita var. mollissima), aussi connue sous le nom "tété bœuf", menace la flore. "C'est une plante dont le fruit ressemble à un fruit de la passion allongé, qui a été introduite intentionnellement dans les années 90 à La Réunion lors d'un programme de diversification des fruits à La Réunion" explique le botaniste.
Il se rappelle avoir émis un avis défavorable quant à l'introduction de cette plante, lorsqu'il travaillait pour l'ONF, mais, "elle a quand même été introduite". "On pensait pouvoir encore l'enlever il y a 10 ans, il y avait eu l'élaboration d'un plan de lutte mais il a été abandonné" regrette Christophe Lavergne.
Cette liane se trouve principalement au Tampon, à la Plaine des Cafres, au Volcan, et commence à envahir progressivement les hauts de l'ouest. "C'est une vraie menace pour les forêts des hauts. Elle attire les rats avec ses fruits, c'est d'ailleurs comme ça c'est que ça se disperse" alerte Christophe Lavergne. Certains oiseaux, comme le Bulbul Orphée, disséminent également la plante en consommant les fruits.
Et malgré la menace que représente la plante, elle continue à se vendre. "Les gens cultivent et récoltent les fruits" indique Christophe Lavergne.
Le Goyavier (Psidium cattleyanum), dont les fruits sont très appréciés dans l'île, est aussi une espèce extrêmement envahissante. "Elle est capable de se multiplier de façon très dense, prend beaucoup de place et élimine tout le reste" rappelle le botaniste. "Son fruit est dispersé par les oiseaux, et leur prolifération modifie tout un milieu en prenant beaucoup de place. Si on regarde du côté du promeneur c'est bien, mais du point de vue des gestionnaires de milieux naturels, c'est un vrai problème pour la biodiversité."
On peut aussi citer le Tecoma (Tecoma stans), également sous le nom Bois-pissenlit, qui a "explosé dans l'ouest après avoir été planté en bord de route pour son côté décoratif". "A l'entrée du cirque Cilaos par exemple, on le voit partout. A Maurice c'est pareil" souffle Christophe Lavergne.
L'Ayapana marron (Ageratina riparia), une "herbe qui reste assez basse, avec des petites fleurs blanches" pose aussi problème. Introduite dans les années 90 comme plante ornementale, "ses fleurs se transforment en millier de petites graines qui se propagent partout" explique-t-il. Une plante qui a "colonisé les ravines, les remparts, les lieux minéraux" liste-t-il. "On la voit rentrer dans les sous-bois, elle forme des matelas et étouffe tout."
41% de la flore est menacée à La Réunion, et la plupart le sont en raison des invasions. "Les espèces des forêts semi-sèches sur la côte ouest et humides sur la côte est de basse altitude sont les plus menacées, elles ont subi d'abord des défrichements et aujourd'hui c'est les espèces envahissantes qui les menacent : on peut citer le Bois de fer, le Bois d'ortie, la Liane de clé, le Bois de senteur bleu,
la liste est longue…" détaille Christophe Lavergne.
- Plusieurs vagues d'introduction -
L'introduction de plante a été faite par vague, et pour des raisons différentes.
"Quand l'homme est arrivé, il a introduit les espèces utiles à la consommation" cite en exemple Christophe Lavergne. "Il y a ensuite eu une mode des jardins d'acclimatation, comme le jardin de l'Etat (ex-Jardin d’Acclimatation au 19ème siècle où étaient cultivées 3000 espèces de plantes), qui a mené à des échanges d'espèces botaniques entre les jardins et où on a donc introduit certaines espèces envahissantes" détaille-t-il.
Une autre vague d'introduction est survenue après-guerre. "C'est une période on avait besoin de bois, le service des forêts de l'époque a donc introduit plusieurs espèces. C'est comme ça qu'on a importé les Cryptomérias par exemple, mais il n'y avait pas de conscience du potentiel envahissant de toutes ces espèces à cette époque".
Aujourd'hui, il y a "une vague d'introduction massive, sans comparaison avec le passé" alerte Christophe Lavergne. Et cela, uniquement à but ornemental. "Le commerce de l'horticulture a explosé mondialement, et La Réunion n'est pas épargnée. Les cours créoles foisonnent d'espèces envahissantes" souligne-t-il.
Sur les 130 espèces envahissantes, la moitié sont des espèces ornementales. "Et elles ne sont pas forcément interdites à l'import."
On peut par exemple citer le Tulipier du Gabon, qui a été interdit en 2019 seulement.
"C'est très long pour faire interdire une espèce" regrette le botaniste. "Il y 153 espèces interdites à l'importation, vente, culture…Ce qui est très peu. Nous avions créé une liste consensuelle avec 800 espèces, sauf qu'après cela remonte au ministère, et la décision finale nous échappe. Finalement, la liste a été réduite à peau de chagrin. Derrière tout ça, il y a des enjeux économiques, une certaine utilité à l'agriculture, à l'économie, à la médecine…" estime-t-il.
- Des plans de lutte -
De nombreux plans de lutte ont été élaborés au fil des années pour endiguer le problème. L'Etat combat par exemple actuellement le Tulipier du Gabon, via un dispositif d'élimination de ces arbres chez les particuliers pour les remplacer par des espèces indigènes. "Mais c'est encore trop timide" insiste Christophe Lavergne.
Si les professionnels ne les vendent plus, ce dernier estime qu'il faut absolument sensibiliser le public.
Tout n'est pas négatif cependant. "Les pouvoirs publics se sont saisis du problème. Depuis 2008, une grande partie de La Réunion est devenue patrimoine mondial de l'Unesco, et il y a eu une alerte en 2018 concernant la dégradation de la nature liée aux espèces envahissantes. On a des gestionnaires, des chercheurs, des partenaires financiers, on travaille de manière collective pour tenter de régler le problème" assure Christophe Lavergne.
Des zones prioritaires de préservation et de lutte ont été désignées. "Plus de 4 000 hectares ont été identifiés comme zones prioritaires d’intervention" indique la Cirad. "C'est un énorme travail qui a été fait, on a une stratégie de lutte, et on décline ça sur les terrains" abonde le botaniste.
Carte Cirad
L'identification de ces zones prioritaires passe l'évaluation du niveau d'invasion et l'estimation de quelle espèce viser en priorité. "On travaille maintenant sur des itinéraires techniques de restauration écologique et de lutte. On s'inspire de ce qui se fait ailleurs, on avance sur plein de fronts à la fois" détaille Christophe Lavergne. "Le constat est toujours alarmant, surtout quand on voit que la Liste Rouge s'agrandit, mais il ne faut pas se décourager" insiste-il.
"Avec le recul et mes 25 ans de métier, je me dis qu'à l'échelle mondiale nous n'avons pas à rougir. Il est difficile de prédire comment les espèces vont se comporter, il y a des aléas, mais on met tous les moyens en œuvre pour freiner ça."
Le botaniste insiste cependant sur un facteur à améliorer : l'intégration de la population dans la lutte. "On sait que les Réunionnais ont entendu parler de cette problématique, mais il n'y a pas assez d'informations disponibles au grand public. Il faut qu'on oriente la stratégie sur la sensibilisation !".
Une campagne de communication va d'ailleurs être mise en place par le Département, pour "toucher les jeunes, les catégories de population qu'on ne touche pas d'habitude" annonce-t-il. Une façon de leur montrer comment s'impliquer dans la lutte contre les espèces invasives. Des films vont aussi être réalisés pour être projetés dans les avions et autres lieux pour sensibiliser à l'importance de la préservation des espèces indigènes.
Des actions qui entrent dans la stratégie de lutte mise en place en 2010, et qui est mise à jour tous les trois ans.
Le scientifique appelle finalement à l'inclusion des agriculteurs et des acteurs du BTP aussi dans cette lutte. "Quand on transporte des matériaux, on déplace des espèces qui peuvent se propager" rappelle-t-il.
"Le plus important c'est de voir l'avenir, de ne pas baisser les bras" conclut-il.
as/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com
mots clés de l'article : environnement , Actus Réunion